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  Vol. 299 No. 19, 21 mai 2008 TABLE OF CONTENTS
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La Mer de Glaces


Figure 1
Caspar David Friedrich, 1798-1840, La mer de glaces, vers 1823, allemand. ©Kunsthalle, Hambourg

Nous sommes en 1798, Caspar David Friedrich arrive à Dresde en Saxe. Il a 24 ans et vient de quitter l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague. Il porte et apporte avec lui le deuil et le malheur. Sa jeune vie est déjà marquée par les pertes qu’il a subies. Sa mère, sa première sœur et son frère, puis à son tour, sa deuxième sœur, Maria, sont décédés tragiquement. Friedrich est tourmenté, la mort le suit, la rédemption, le salut, les puissances divines qui se jouent de lui, l’accompagnent déjà.

Il vient s’installer dans la Florence de l’Elbe. Immense contraste ou prédestination ?

Curieux destin qui rapproche cet homme et cette ville ! Sont-ils unis dans le malheur sans le savoir ?

Caspar est un solitaire, il vit sa vie comme il comprend le destin de l’homme. Il pense que celui-ci vit entouré de forces qu’il ne domine pas et les premiers tableaux qu’il peint représentent bien cette impuissance face à la nature. Lorsqu’il peint le Christ, il le peint de dos, face à un coucher de soleil en montagne qui symbolise la fin du monde préchrétien.

Cette « tragédie du paysage », Caspar David la ressentira toute sa vie. Il est symboliste. Classé grand peintre du romantisme allemand, il est et reste un symboliste. Comment alors ne pas penser à l’influence du psychisme sur l’œuvre de l’artiste. Odilon Redon et ses souvenirs d’enfance est parmi ces peintres-là. Salvador Dali et son génie torturé par son enfance et ses tourments internes, également de ceux-là. Enfin, quand Caspar Friedrich nous livre des paysages nus et nous laisse seuls avec nous-mêmes, n’est-il pas un précurseur de l’expressionnisme ?

Caspar David Friedrich influencera ainsi toute une génération de peintres allemands et de l’Europe du Nord qui n’atteindront jamais son mysticisme et qui, s’ils partagent le même sens aigu de la nature, n’intégreront jamais la recherche philosophique de Caspar.

Vivant dans une perpétuelle tempête interne, il a choisi Dresde, la ville des Arts, la ville baroque par excellence. Cette ville, éternellement détruite et renaissante de ses ruines comme un phénix, symbole d’une résurrection perpétuelle.

Construite vers 1200, elle fut souvent ravagée par les guerres et le sera encore jusqu’en 1945.

Mais, à Dresde, Caspar s’épanouit dans le mouvement romantique. Il fréquente des cercles littéraires et artistiques.

Les allemands cultivés de cette époque sont sous l’emprise du Werther de Goethe. L’Allemagne se veut romantique et l’épopée napoléonienne est saluée comme une envolée lyrique vers la liberté des peuples et de l’homme.

Caspar qui arrive dans cette ville, n’a en lui que du déchirement. N’a-t-il pas laissé partir sa sœur, Maria ? Elisabeth, son autre sœur n’est-elle pas également partie ? Christopher, son frère, tragiquement disparu en patinant l’hiver. Pourquoi cette succession de malheurs ? Est-il coupable ? Devant l’absence de réponse, le peintre se tourne alors vers le ciel muet.

Il peint un monde de plages rocailleuses, de plaines monotones et de landes, de chaînes montagneuses infinies dans lesquelles des arbres se tendent vers le ciel comme la main de l’homme se tend vers Dieu, en implorant. Cet homme qui rampe sur ces landes désertes et solitaires. L’homme qui voit en tout ce qui s’élève, la possibilité d’un espoir. Les arbres deviennent le symbole de celui-ci. Ils montent vers les nuages comme on adresse une prière.

Caspar fait de l’arbre germanique par excellence, le sapin, son symbole.

Lorsqu’en 1810, Goethe, l’homme de Weimar, vient rendre visite à Friedrich à Dresde, les deux hommes ont-ils parlé de nature et des liens de celle-ci avec les forces divines. Ont-ils parlé de ce qui les unit ou de ce qui les sépare ?

Caspar aimait la nature parce qu’elle satisfaisait son mysticisme, Goethe y cherchait la plante originelle, la vie. Son arbre favori, le Gingko biloba, courant en Allemagne, n’est-il pas un peu le symbole de cette force vitale ?

Que se sont dit les deux hommes ? Entre Goethe, modèle de l’honnête homme de la Renaissance et curieux de tout, tout fraîchement décoré de la Légion d’honneur par Napoléon Bonaparte et ce peintre romantique, dont les yeux dévore le visage qui se cache sous une abondante chevelure et une immense barbe, le courant passe-t-il ? Goethe a-t-il dit à Friedrich, comme il le fit dans Faust : « Plus de lumière ! Plus de lumière ! » Personne ne peut répondre, mais la lumière est ce que Caspar maîtrise dans son œuvre.

Ses tons sont froids, ses contrastes marqués et son exposition claire.

Dans le tableau présenté, la mer de Glaces, on retrouve tous les thèmes chers à Caspar.

Loin de la Florence de l’Elbe, Caspar Friedrich y montre un bateau, symbole de l’homme, écrasé par les glaces, symbole de la toute puissance de la nature. Ce tableau, qui date de 1823-1824, restera longtemps dans l’atelier de Friedrich.

Le Grand Duc Nicolas avait parlé à Friedrich de « l’effroyable beauté » de la nature, celui-ci la rend parfaitement dans ce déchainement des glaces qui plient, tordent et se jouent du navire. Cette toile fut longtemps confondue avec un autre tableau, aujourd’hui disparu et peint à la demande du Grand Duc, « le naufrage de l’Espoir », mais le titre de ce dernier tableau illustrerait à merveille « la mer de glaces » de Friedrich.

Le 7 mai 1840 il s’éteignait à Dresde, berceau de l’art allemand, dans une indifférence générale. Dernière cruauté envers celui qui, toute sa vie, avait cherché dans la nature, le souffle intime du monde et qui partait seul, drame qui rendait : « ..........la solitude encore plus solitaire et horrifiante. » (Marie-Hélène Von Kügelgen).

Jean Gavaudan, MD







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